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Bribes de vie…

Le pigeon


Je t’aperçois à travers la grande baie vitrée du café. Tu te dores sur un rayon oblique de soleil. Tu cherches la chaleur par cette journée hivernale où les températures frisent le zéro. Tu trembles. Ton plumage est dégarni. J’aperçois la peau rosâtre sous les plumes. Je ressens ta souffrance à travers la vitre et t’envoie des ondes curatives par la pensée, car tu m’as l’air si mal en point.

Deux pigeons bien dodus s’approchent. Ils tournent autour de toi. Je me demande quelles sont leurs intentions. Compassion ou indifférence face à un congénère blessé ? Ils se précipitent sur toi, bec en avant. Affolé, tu agites tant bien que mal tes ailes dégarnies et j’entrevois des plaques rouges squameuses le long de ton corps. J’ai de la peine pour toi, j’essaie de comprendre ce qui justifie leur agressivité. Est-ce un acte de charité pour précipiter ton trépas et abréger tes souffrances ? La nature est bien mystérieuse.

Avec ces reflexions, j’ai du mal à me concentrer sur mon travail. Je me tourne vers mon écran en essayant de fuir ce drame qui se déroule sous mes yeux. Un quart d’heure plus tard je regarde par la fenêtre ; Les gens qui passent sur ton chemin, te regardent apitoyés. Certains sont totalement indifférents, plongés dans leur conversation téléphonique, d’autres font un petit pas de côté en te voyant. Tu as changé de place. Tu es presque au milieu de la petite rue qui longe le café. Est-ce délibéré ? Ton corp chétif est tout tremblant. Les voitures n’arrêtent pas de passer, telles de grandes créatures rugissantes. J’ai un serrement au coeur en imaginant ton trépas sous une voiture. Je retourne à mon écran pour chasser ces idées funestes.

Vingt minutes plus tard je regarde dehors. Je ne te vois pas. Soulagée, je n’y pense plus. J’ai terminé de bosser. Il est temps de rentrer à la maison. Je vais régler mes consommations. Je sors du café, te cherche du coin de l’oeil. Là, sur le bas côté du trottoir git ton petit corps disloqué. Une roue miséricordieuse a mis fin à ton calvaire. Chamboulée, je n’ose pas passer par là. Je pars dans la direction opposée et fais le tour du pâté de maisons avant de regagner mon domicile, perplexe devant ce drame qui s’est joué sous mes yeux : suicide réussi, accident tragique d’une triste banalité ou tout simplement le cours naturel de la vie ?

 

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